Volodymyr Zelensky fut longtemps perçu comme un acteur devenu président par accident. La crise avec Moscou révèle sous un jour nouveau ce néophyte en politique, devenu chef de guerre.
De la fiction à la réalité
Zelensky naît en 1978 à Kryvyi Rih, au centre de l’Ukraine. Le pays fait alors partie de l’Union soviétique.
À la maison, il parle russe et sa famille est juive. Durant la seconde guerre mondiale, son grand-père, dont les trois frères sont morts durant la Shoah, a combattu les Allemands dans les rangs de l’armée rouge. Son père est professeur d’informatique à l’université, et sa mère ingénieure.
Lorsqu’il passe son baccalauréat, l’Ukraine a déjà accédé à l’indépendance. S’il a fait des études de droits, il ne travaillera jamais dans ce domaine, et préfèrera explorer le monde de la scène et de la télévision. Il déclarera lui-même qu’il n’était pas question d’art, mais de volonté d’être au centre de l’attention.
C’est à cette époque qu’il tombe amoureux de Lena, une ancienne camarade d’université. Il se marie en 2003 et monte la même année le studio Kvartal 95, une société très lucrative de production télévisuelle. À la tête de sa troupe, il devient l’un des acteurs les plus célèbres de sa génération.
En Ukraine et en Russie il est animateur de différentes émissions de télévisions – dont des télé-crochets – et candidats à d’autres.
De 2015 à 2019, Volodymyr est la tête d’affiche d’une série télé « le serviteur du peuple » dans laquelle il incarne un professeur d’histoire idéaliste, en lutte contre le pouvoir corrompu, qui se retrouve élu président de l’Ukraine.
L’aventure politique de Volodymyr Zelensky commence le soir du 31 décembre 2018, comme une farce, avec l’annonce télévisée de sa candidature à l’élection présidentielle alors que la dernière saison de sa série est diffusée pendant la vraie campagne électorale en mars-avril 2019 !
Un début en politique hasardeux
Sans étiquette, il est soutenu par le parti Serviteur du peuple (comme la série, donc, et aux mêmes aspirations) : créé en 2016 sous le nom de Parti du changement décisif et renommé ainsi en 2017, ce parti avait à sa tête Ivan Bakanov, son vieil ami producteur qu’il a désigné chef adjoint des services secrets ukrainiens après son élection.
Sans programme clair, Zelensky mène campagne sur la paix dans le Donbass et la lutte contre la corruption. Au second tour, il écrase le président sortant, Petro Porochenko, en récoltant 73 % des voix.
Le plus grand défi qui se présente à lui, c’est Vladimir Poutine, qui mène depuis des années une guerre larvée dans le Donbass.
Ses débuts sont difficiles. Il n’a aucune expérience politique, et ne promet rien de concret.
Il se retrouve subitement au cœur d’un scandale politique. Celui-ci éclate après la révélation du contenu d’une conversation téléphonique, dans laquelle Donald Trump, alors président des États-Unis, menace de priver Zenlensky d’une aide militaire de 400 millions de dollars s’il refuse d’ouvrir une enquête pour corruption contre le fils de Joe Biden, son concurrent démocrate à l’élection présidentielle américaine.
Une affaire de cette ampleur en début de mandat écorne son image, ce qui fait l’affaire de Poutine.
Mais Volodymyr ne perd pas son objectif de vue : la paix dans le Donbass et avec la Russie. Il se cherche des alliés et les trouve en France et en Allemagne.
A Paris, il rencontre pour la première fois Vladimir Poutine. Bien qu’il fasse preuve de prestance et d’habileté, les pourparlers échouent. Il n’y pas de volonté politique de la part de la Russie de sortir du Donbass.
Les Ukrainiens sont fatigués de la guerre, et Poutine sait pertinemment que si son homologue ne parvient pas à un accord de paix, il n’aura pas respecté sa promesse de campagne.
Deux ans après le début de sa présidence, Volodymyr Zelensky voit son éclat se ternir.
L’économie ukrainienne, une des plus faible du monde, est à l’arrêt. Il est au plus bas dans les sondages et son parti essuie un échec cuisant aux élections municipales.
Le plus grand rôle de sa vie.
En juillet 2021, Vladimir Poutine publie un manifeste. Dans un essai sur l’histoire de la Russie et de l’Union Soviétique, il conteste ouvertement le droit d’exister de l’Ukraine.
Le 24 février il passe à l’offensive en prétextant la lutte contre le fascisme. Zelensky réagit sur le champ. Il se montre résolu, optimiste et très clair : « un printemps guerrier, c’est triste. Mais tout ira bien, on les vaincra tous », déclare-t-il aux télévisions ukrainiennes.
Le monde entier commence à suivre le président ukrainien.
Il joue le plus grand rôle de sa vie.
Ses talents et compétences du monde du spectacle deviennent son atout majeur dans cette guerre pour s’adresser à son peuple et au reste du monde.
Il devient la voix de l’Ukraine.
30% des citoyens se déclarent prêts à prendre les armes, et 80% d’entre eux considèrent la Russie comme l’agresseur.
Poutine pensait que l’Ukraine s’autodétruirait de l’intérieur. Au contraire, elle se rassemble.
La mobilisation est générale.
Volodymyr déclare que les hommes de 18 à 60 ans ne sont plus autorisés à quitter le pays. Toute la population fabrique des cocktails molotov.
Les Ukrainiens gagnent au moins une guerre : ils ont conquis le cœur de la communauté internationale, grâce à l’extraordinaire présence publique de leur président.
Il offre des allocutions quotidiennes, il prend la parole devant le parlement britannique par lien vidéo, il s’adresse à 300 membres du congrès européen via zoom, il tweete, et donne son opinion instantanément sur l’avancée de la guerre.
Sur les places d’Europe et du monde entier, Volodymyr Zelensky mobilise des millions de personnes, qui constituent sa force de frappe contre Vladimir Poutine.
Son message : « vous êtes les prochains. Vous aussi vous êtes menacés. Aidez-nous ».
Il est le combattant des cœurs et fait figure héroïque pour la liberté.
Au 4ème jour du conflit, Le président Ukrainien signe une demande d’entrée dans l’Union Européenne pour l’Ukraine. Un symbole fort. « Avec nous, l’Europe sera certainement plus forte. Sans vous, l’Ukraine sera isolée. Nous vous avons démontré notre force. Prouvez-nous que vous êtes avec nous (…) Que vous êtes véritablement des européens » affirme-t-il.
Il s’avère être un brillant politicien pour communiquer sur les évènements et maîtrise à la perfection l’art du story telling.
Depuis son bunker, le président est peut-être aujourd’hui le plus puissant politicien de la scène médiatique.
Il joue désormais un nouveau rôle : celui d’un homme qui est authentiquement un président.
Incroyablement métamorphosé depuis le début des évènements, il est devenu cet homme désespéré, mal rasé, qui ne porte plus de costume, qui demande de l’aide, et nous confronte à la responsabilité qui nous incombe.
A lui seul, il a réveillé les dirigeants qui faisaient encore profil bas devant Poutine. Il les a même emportés dans sa bataille pour la liberté.
La guerre en Ukraine a changé l’Europe.
Personne ne sait quelle en sera l’issue, ni si Volodimir Zelinski restera le héros que l’on célèbre en ce moment.
Quoi qu’il en soit le président Ukrainien qui déclarait « Tout ce qu’on laisse à nos enfants, c’est notre réputation » a d’ores et déjà rempli sa mission.
